A Thomery, au coeur du hameau de By, dans le sud seine-et-marnais,
rayonne une perle de notre patrimoine :
le château musée atelier de Rosa Bonheur.
A Thomery, au cœur du hameau de By, dans le sud seine-et-marnais, rayonne une perle de notre patrimoine : le château musée atelier de Rosa Bonheur.
Peintre animalière de renommée internationale et fort prisée par les Américains, Rosa Bonheur s’installe à By en juin 1860 afin de fuir la célébrité et Paris.
La propriété du « château » comprend un parc de trois hectares, boisé, proche de la forêt et une maison bourgeoise de deux étages. Elle aurait appartenu vers 1400 à un officier royal désigné sous le nom de Bigre… Bige… By. Jadis c’était un véritable château avec toutes les prérogatives liées à un château. Criblés de dettes à cause des fêtes qu’ils y organisent, les derniers seigneurs de By le vendent à la fin de XVème siècle. L’édifice est détruit deux siècles plus tard puis reconstruit, mis au goût du jour sous sa forme actuelle, au début du XVIIIème siècle.
Rosa Bonheur achète le domaine à un banquier, un noceur endetté, pour la somme de 50 000 francs, ce qui équivaut pour elle, en plein succès, au prix de deux de ses tableaux. Aussitôt Rosa donne l’ordre de construire un atelier au-dessus de la remise et de la buanderie. Dans le même élan, elle fait transformer l’ancienne chapelle qui sert alors de salle de billard en chambre à raisins. Elle est enfin chez elle !
Rosa y restera jusqu’à son dernier souffle. Elle vivra là avec la famille Micas, composée de la mère et de la fille Nathalie qui est une amie d’enfance. Entre elles, il s’agit d’honorer un pacte de solidarité au service de l’art. Il s’agit d’accomplir la « mission sainte » qui contribue à « élever la femme », une mission dont l’artiste se sent investie.
Déjà, à l’époque, les jaseries vont bon train. Rosa s’habille en pantalons, dispose d’une autorisation de travestissement, vit avec des femmes, gagne bien sa vie. Il n’en suffit pas plus. La voici considérée comme homosexuelle.
Convaincue du bien-fondé de sa mission, sans tenir compte de ces cancans, Rosa continue de peindre avec assiduité. Pour elle, le parc, la forêt et le château ne forment qu’un vaste atelier, une enclave sans clôtures. Vit près d’elle une ménagerie composée de moutons, chèvres et boucs, cerfs et biches, chevaux, poneys, taureaux, gazelles, renards, chats, singe, aigle, perroquet, faisan, serins, lions et félins qui lui servent de modèles.
Anna Klumpke, sa dernière colocataire, amie et biographe, rapporte dans Rosa Bonheur, sa vie, son œuvre, que l’artiste « n’hésitait guère à prétendre que, par la bouche des héros de La Fontaine, ce n’était pas tant qu’on le croyait des hommes qui parlaient ».
Toujours est-il que Rosa persuadée que le regard des bêtes portait le reflet de leur âme, ne cesse de représenter avec un tact d’une extraordinaire sensibilité leurs expressions vibrant d’authenticité tant sur le plan physique que psychique.
Adulée par le monde entier, connaissant une gloire que peu d’artistes goûtent de leur vivant, Rosa reçoit l’Impératrice Eugénie qui la visite chez elle à plusieurs reprises et l’invite le 30 juin 1864 à déjeuner au Palais…
Un an plus tard, l’Impératrice revient au domicile de Rosa pour remettre la Légion d’honneur à la première femme artiste à se voir attribuer cette distinction.
Une guerre, une Commune et une nouvelle révolution plus loin… Après la reconnaissance de la cour impériale, Rosa a droit à celle de Sadi Carnot, le Président de la République, qui la promeut Officière de la Légion d’honneur.
Nonobstant Rosa Bonheur n’a de cesse de défendre la préservation de la forêt de Fontainebleau si bien orchestrée par Denecourt et Colinet.
Souvent critiquée pour sa façon de vivre et l’académisme de ses peintures, l’artiste a néanmoins légué une œuvre d’une éblouissante richesse – de plus 900 toiles – à sa mort, des œuvres dont son héritière et légataire universelle, Anna Klumpke, fit don à l’état français, ce qui permet au Château de Fontainebleau et au Musée d’Orsay à Paris d’en exposer quelques-unes…
Aujourd’hui, lorsque nous pénétrons dans l’atelier de Rosa demeuré intact, nous retrouvons son univers, celui d’une femme intègre, fidèle à ses convictions, à son amour pour les bêtes, à sa passion pour la peinture nourrie par un travail forcené.
Dans cet atelier que l’artiste appelait son sanctuaire, notre regard se porte en priorité sur l’immense tableau inachevé où des chevaux galopent en toute liberté. Tel un présage, une métaphore pour dépeindre la personnalité de Rosa.
Par sa hauteur de plafond, la pièce ressemble à une cathédrale. Chaque objet milite pour le souvenir de l’artiste. Sa présence d’ailleurs y est vraiment perceptible. Et le moindre détail nous la rappelle. C’est un lieu absolument unique. Le sentiment de côtoyer en ce lieu l’intimité d’une artiste avec une telle acuité ressemble à celui éprouvé lors de la visite de la maison de Cocteau à Milly-la-Forêt ou encore celle de Monet à Giverny.
Les dessins, les peintures, les caricatures de Rosa Bonheur sont saisissantes de vérité et bien plus encore ! Elles semblent plus vraies que nature… Simplement parce qu’elles semblent vivantes. L’amour du peintre pour ses modèles les a rendus incarnés.
Sa vie consacrée à l’Art l’a poussée à innover et à inventer l’hyperréalisme avant que celui-ci ne soit tendance. Certaines de ses études en effet ressemblent à des photographies.
Le détour par By s’avère donc indispensable pour rendre hommage à cette femme d’exception mais aussi à Katherine Brault, l’actuelle propriétaire.
Katherine Brault n’a pas seulement fait une acquisition : elle a repris le flambeau de la « sainte mission » de Rosa Bonheur et de sa « sœur de palette » Anna Klumpke.
En se démenant sans vergogne pour redonner à l’artiste le rang et la dignité qu’elle mérite et au Château Musée son lustre d’antan, Katherine s’instaure ainsi la digne héritière d’une lignée de femmes courageuses. Volontaires et indépendantes. Respect !
Albertine Gentou